jeudi 18 juin 2015

Evariste


Un jeune auteur littéraire qui raconte Evariste Galois, c'est sans aucun doute intéressant, me suis-je dit en achetant il y a quelques jours Evariste, de François-Henri Désérable (Gallimard, 2015, 172 p., 16,90€). J'avais, hélas, tort. J'ai appris qu'il avait reçu le prix des lecteurs L'Express/BFMTV en 2015 : cela me confirme dans le fait de ne pas lire cet hebdomadaire et de ne pas regarder cette chaîne de télévision.

J'ai acheté ce livre pour découvrir comment un jeune auteur actuel allait réinventer un récit autour de l'histoire archi connue de Galois. Mais il ne réinvente rien. Il se contente de raconter le jeune héros romantique, génie foudroyé à 20 ans, de la façon la plus classique qui soit.

Son seul procédé littéraire est de s'adresser à une "jeune fille", dans le souci semble-t-il de la séduire. Effectivement, quoi de plus moderne que de tenter de séduire une jeune fille en lui narrant l'histoire d'un héros romantique? J'en fréquente quelques unes assez assidument, et bien qu'elles ne me racontent évidement pas tout, je n'ai pas le sentiment qu'elles donneraient dans un tel panneau.

Ah, si! Comme il est moderne, l'auteur parle crûment de sexe : de la conception d'Evariste à ses fantasmes vis-à-vis de celle qui, pense-t-on, motiva le duel qui lui coûta la vie, en passant par ses plaisirs solitaires dans le dortoir du lycée Louis-le-Grand. Et comme il est moderne (et qu'il a lu Céline, sans doute) il décrit aussi crûment la misère et le peuple, sans aucune compassion. Pour procurer à la "jeune fille", elle aussi moderne, un frisson de dégoût, qu'elle pourrait confondre avec un frisson de plaisir? Quitte à se moquer des pauvres, je préfère encore Les rois de la Suède.

En outre, ce bref récit n'apporte rien à la connaissance de Galois. Ses mathématiques n'intéressent pas l'auteur. Il revendique même n'y rien comprendre.

Je doute donc, hélas, que des lecteurs de ce « roman » (en est-ce vraiment un?) en tirent un intérêt quelconque pour les mathématiques. C'est pourtant là qu'est le nœud de l'affaire : Galois eut-il été commerçant ou cordonnier, on n'en parlerait plus aujourd'hui. Tenter de comprendre en quoi tenait son « génie » (et aussi la filiation de ses travaux avec d'autres, qui l'avaient précédé), c'est la moindre des choses si l'on veut lui rendre hommage, aussi maladroitement qu'on le fasse. Pour faire un jeu de mot comme semble les affectionner François-Henri Désérable, ce livre n'est en rien désirable. D'exécrable, plutôt.

Je suggère, pour à peu près le même prix, de trouver d'occasion "Le roman d'Evariste Galois", de Leopold Infeld (La Farandole, 1978). Il n'en donne pas tellement plus sur les mathématiques, mais est sans aucun doutes plus agréable à lire (d'accord, c'est un souvenir d'adolescent). Si l'on veut entrer un peu dans le dur de la science, il y a Galois, de Norbert Verdier (Pour la Science, 2011). Enfin, Images des mathématiques a regroupé sur la même page une série d'articles "Autour de Galois", historiques pour certains, plus mathématiques pour d'autres.

lundi 15 juin 2015

Visiter la grotte de Rouffignac

Comme vous pouvez le lire ici, j'ai visité récemment la grotte de Rouffignac, en Dordogne. Plus justement nommée Cro de Granville, elle est aussi connue sous l'appellation de "grotte aux 100 mammouths", tant cet animal, rare par ailleurs dans l'art préhistorique, y est présent. En sortant, j'ai acheté un petit livre intitulé "Visiter la grotte de Rouffignac", signé de Marie-Odile et Jean Plassard, et publié en 1995 aux éditions Sud-Ouest (l'édition que j'ai achetée a été mise à jour en 2001).

Comme son nom l'indique, c'est un guide de visite. Il reprend peu ou prou le commentaire du guide, en l'étoffant de quelques détails, mais à peine. C'est un bon aide mémoire postérieur à la visite. Si on le trouve avant, sa lecture, qui ne prend pas plus d'une heure, est aussi une bonne préparation de celle-ci. Dans les grottes ornées, le temps est toujours trop court, et il n'est jamais inutile d'être préparé à ce que l'on va voir, afin d'en profiter pleinement.

Ce livre colle tellement à la visite qu'il ne nous montre presque aucune image des figures que l'on ne voit pas pendant celle-ci. Seuls le "mammouth à l'oeil coquin" et le "pharaon" (un bison) ont cet honneur. Heureusement, j'ai conservé le beau livre sur Rouffignac publié en 1999 par les éditions du Seuil et signé également par Jean Plassard. Il ne figure plus aujourd'hui au catalogue de l'éditeur. Ce sera l'un de mes prochaines lectures.



dimanche 14 juin 2015

Altamira

A l'exception du guide de visite du musée que j'ai acheté sur place, il ne semble pas qu'il y ait aujourd'hui de livre en français disponible consacré à la grotte d'Altamira. S'agissant de la première grotte ornée du Paléolithique annoncée comme telle, dès 1879, c'est étonnant. Il faut croire que l'intérêt du public pour ces sites, en dehors des activités touristiques, n'est peut-être pas aussi important qu'on veut bien le dire (si j'en crois une rapide recherche sur Amazon.es, il n'y en a pas beaucoup non plus en espagnol!).

J'avais heureusement conservé dans ma bibliothèque le livre de Leslie Freeman et Joaquin Gonzalez Echegaray publié en 2001 par l'éphémère Maison des Roches, et intitulé sobrement "La grotte d'Altamira". On le trouve encore, neuf ou d'occasion, chez des libraires en lignes, et sans doute chez des libraires spécialisés. Avec ses 154 pages et ses nombreuses reproductions en couleur, et malgré son format restreint (19,5 par 22,5 cm), il donne une bonne approche de ce chef d'oeuvre de l'humanité

Quelques chapitres introductifs permettent une mise en contexte, avec la présentation du cadre naturel et culturel dans lequel les peintures ont été produites il y a au moins 14 000 ans, et avec le récit de la découverte et de la controverse qui s'en est suivi (en attendant que celle-ci soit racontée dans un film). Mais le coeur de l'ouvrage tient dans la description des oeuvres dans toute la grotte (et pas seulement celles du célébre plafond qualifié à l'époque de "Chapelle sixtine de la préhistoire") et dans une proposition d'interprétation.

Il est toujours difficile pour le profane que je suis de se faire une opinion sur le discours scientifique en matière d'art rupestre. Les animaux sont-ils bien identifiés? Leurs positions bien reconnues? Les comparaisons éthologiques bien établies? Ces réserves posées, la présentation des deux auteurs m'a semblé convaincante.

Selon eux, le grand plafond est essentiellement la représentation d'un troupeau de bisons en période de rut. La présence à proximité d'autres animaux (biche, cheval) n'a rien d'étonnant : ces espèces cohabitent naturellement, et pouvaient donc être observées à proximité les unes des autres. Evidemment, il est bien difficile de comprendre pourquoi des hommes sont venus peindre un plafond dans une salle où ils ne pouvaient pas se tenir debout, et encore moins contempler l'ensemble de la composition d'un seul regard, comme les aménagements pratiqués au début du XXe siècle permettent maintenant de le faire (on retrouve la même situation par exemple dans un secteur de la grotte de Rouffignac, en Dordogne).

Les auteurs penchent pour des rites d'initiation. Ils argumentent ce point surtout pour les peintures et les dessins réalisés dans des galeries très étroites, plus loin dans la grotte. Certaines figures sont visibles en entrant, d'autres en sortant, le tout en rampant. Et, poliment mais fermement, ils réfutent les hypothèses "chamaniques", très publicisées à l'époque de la publication du livre, et encore très présentes aujourd'hui dans les commentaires des guides qui font visiter les grottes ornées préhistoriques.

La dernière partie consacrée aux vestiges archéologiques aurait pu être plus courte. Pourquoi décrire par le menu les outils et la faune trouvés sur place, si c'est pour conclure que les fouilles ont été mal conduites au début du XXe siècle, qu'il n'a pas été possible de conduire convenablement de nouvelles fouilles depuis, et qu'on ne sait donc pas grand chose sur les relations entre le site d'habitat présent sous le porche d'entrée et les peintures situées plus profondément dans la grotte? Ah, si, quand même, on apprend que les animaux représentés n'étaient pas très différents des animaux chassés, au contraire d'une conclusion d'André Leroi-Gourhan après son étude d'un certain nombre de grottes françaises. Un point, là encore, trop souvent répété sans vérification par de nombreux guides.




jeudi 11 juin 2015

La grotte de Font-de-Gaume


Mes lectures sont très orientées vers l'art rupestre décidément, ces temps-ci. Puisque j'allais visiter la grotte de Font-de-Gaume, aux Eyzies-de-Tayac, j'ai ressorti le livre de Jean-Jacques Cleyet-Merle publié il y a un an aux Editions du Patrimoine. Il est évidemment en vente dans toutes les bonnes librairies de préhistoire, à commencer par celles des Eyzies, au prix très modique de 12€.

On y trouve exactement ce que l'on peut attendre dans une plaquette que l'on achète en souvenir. Y compris de très belles photographies de représentations que l'on ne voit pas pendant la visite de la grotte. La mise en contexte est simple et accessible aux non spécialistes (j'aurais bien aimé quand même qu'il nous explique ce qu'est le « passage du Rubicon » dans cette grotte : un zone plus étroite, et alors?). Il raconte la découverte, décrit dans les grandes lignes la culture magdalénienne pendant laquelle des hommes sont venus peindre et graver ici.

L'auteur reste toutefois excessivement prudent quant aux interprétations possibles de cet « art préhistorique ». Il évoque à deux ou trois reprises « l'hypothèse chamanique », selon laquelle les peintres et graveurs se contenteraient en certaines occasion de reconnaître des animaux déjà présents dans le relief de la paroi. Mais il n'explique pas clairement de quoi il s'agit (et pour cause, cette hyptohèse est quand même assez fumeuse). Et il n'évoque aucune autre hypothèse. Il remarque toutefois judicieusement que, contrairement à ce que l'on dit et écrit souvent, la différence entre le bestiaire représenté et la faune chassée n'est pas si importante que cela.

Ce livre a le grand mérite d'exister, et contentera la plupart des visiteurs, et des amateurs d'art préhistorique. Mais une équipe de préhistoriens aurait-elle les moyens de faire une nouvelle monographie sur cette grotte, fondée sur des travaux récents? J'ai le sentiment que les questions de conservation ont, ces dernières années, pris le pas sur l'étude des œuvres (et de la façon dont elles fonctionnent ensemble).