L'auteur, adepte de la caricature
acerbe, dépeint avec cruauté le petit monde professoral
exclusivement masculin de cet institut qui étudie les acquisitions
langagières des tout petits. Au mieux, ces chercheurs ne
s'intéressent qu'à eux-mêmes, à leur notoriété et à leurs
conquêtes féminines. Au pire, ils médisent les uns sur les autres
et se détestent. Les rôles féminins ne sont tenus que par des
puéricultrices de la crèche installée sur place, qui fournit un
champ d'observations et d'expérimentations aux chercheurs, et par
quelques étudiantes, prêtes à rendre les armes devant les virils
professeurs.
L'enquête menée du point de vue l'un
des chercheurs, le principal suspect aux yeux du policier
officiellement en charge de celle-ci (mais qui fait finalement figure
de comparse), a un petit côté Hercule Poirot ou Miss Marple. Une
liste de suspects connue, un univers clôt, quelques rebondissements,
des fausses pistes... David Carkeet a sans doute beaucoup lu Agatha
Christie dans sa jeunesse. Ce n'est pas déplaisant.
La psycholinguistique présentée dans
ce livre est toutefois un peu datée : la traduction date de 2013,
mais l'original est paru aux Etats-Unis en 1980. A l'époque
numérique, nul doute que Jeremy Cook n'aurait pas seulement
enregistré le petit Wally (sur un magnétophone à bande!), mais
qu'il l'aurait aussi filmé. Et la machine à écrire, qui tient un
petit rôle dans l'intrigue, a disparu depuis bien longtemps de tous
les centres de recherche.
La date de publication initiale m'a
d'ailleurs conduit à une interrogation, pour l'instant sans réponse
(au contraire de toutes celles énoncées au début de cette note).
Afin d'effrayer le coupable, démasqué par une méthode linguistique
que je ne trahirai pas, le policier lui indique que l'on a retrouvé
des traces de son ADN sur l'une des victimes. Or, en 1980, on était
encore loin de séquencer l'ADN à des fins judiciaires. L'auteur
a-t-il voulu montrer ses connaissances scientifiques, au risque
d'anticiper (en 1980, Walter Gilbert et Frederik Sanger ont partagé
la moitié du prix Nobel de chimie pour leurs travaux sur, justement,
le séquençage de l'ADN)? Ou le traducteur français a-t-il fait du
zèle et introduit un anachronisme? Si quelqu'un connaît la réponse,
je le remercie par avance.