On savait que Marie Curie avait fait
de la science en famille : avec son mari, Pierre, puis avec sa fille
Irène. Ses petits enfants, qui l'ont à peine connue, et même l'un
de ses arrière-petit-fils ont suivi la même voie. Mais aurait-elle
fait de la science si elle n'avait pas eu sa famille, et notamment sa
sœur aînée Bronia? Rien n'est moins sûr, raconte Natacha Henry
dans Les sœurs savantes (La Librairie Vuibert, 2015, 288 p., 19,90 €).
Marie Curie (ou plutôt, Sklodowska,
de son nom de naissance), rappelle ainsi Natacha Henry, partageait
avec Bronia l'idéal familial d'un accès des femmes aux études et
au savoir. Cet idéal était pour le moins contrarié dans la Pologne
sous domination russe de la fin du XIXe siècle où elles vivaient.
Après une formation initiale dans une « université volante »
clandestine, où des enseignants bénévoles et engagés dispensaient
des cours aux jeunes filles, il fallait partir de Varsovie. C'est
Bronia qui, la première, vint à Paris, suivre des études de
médecine, soutenue par l'aide financière de sa cadette, qui
travaillait comme gouvernante. C'est Bronia qui, la première,
soutient une thèse, en médecine (sur l'allaitement maternel).
C'est aussi Bronia qui, la première,
se maria. En 1891, elle épousa un médecin, Casimir Dluski. Ce
dernier était polonais, et surtout c'était un activiste politique.
Ensemble, ils repartirent en Pologne, près de Zakopane, dans la
partie alors sous domination austro-hongroise, pour fonder un
sanatorium. Ce sanatorium, ouvert en 1902, accueillit nombre de
célébrités, et devint même en partie un centre de réflexion
nationaliste polonais avant la Première guerre mondiale. En 1918, la
Pologne devenue indépendante, Dluski participa à la délégation
polonaise dans la négociation du traité de Versailles.
Le rôle de Bronia dans la
trajectoire de Marie Curie est fortement valorisé par Natacha Henry.
Selon cette dernière, l'aînée ne s'est pas contentée d'être un
modèle à suivre. C'est en effet Bronia qui argumenta auprès d'une
Marie démoralisée par un chagrin d'amour, pour qu'elle vienne comme
prévu suivre des études à Paris. C'est elle qui l'hébergea dans
son petit appartement de jeune mariée lorsqu'elle arriva enfin dans
la capitale française. C'est elle encore qui lui fit rencontrer des
intellectuels polonais en exil et entretint ses convictions patriotiques, humanistes et de gauche.
D'autres aspects de la vie de Marie
Curie racontés dans ce livre sont plus connus : sa rencontre avec
Pierre Curie, le décès prématuré de celui-ci, les deux prix
Nobel, la liaison avec Paul Langevin, la fondation de l'institut du
radium, les tournées américaines, etc. La cible très grand public
nécessitait évidemment de les rappeler. Mais nombre d'éléments
sont aussi là pour dessiner un parallèle avec les engagements de
Bronia, à Paris et en Pologne. Ces deux femmes ne partageait pas que
l'amour de la science : elles avaient toutes les deux une conscience
forte de leurs responsabilités sociales et politiques.
Est-ce par peur d'effrayer des
lecteurs que la science de Marie Curie est si peu présente dans
l'ouvrage? La seule exception est à la page 103. Et encore, la
formulation est-elle erronée (l'uranium n'émet pas de lumière
mais, justement de la radioactivité, invisible à nos yeux). C'est
un peu dommage.
Dans le genre « biographie
empathique », dans lequel l'auteur se place en permanence du
point de vue de ses personnages, l'ensemble est assez réussi.
Evidemment, Natacha Henry finit par manquer un peu de distance
vis-à-vis de son sujet. Mais il est difficile d'être critique en ce
qui concerne Marie Curie, femme remarquable, scientifique
exceptionnelle, citoyenne engagée. Son statut de « sainte
laïque », officialisé par le transfert de ses cendres au
Panthéon en 1981, n'est pas près de lui être disputé.
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