Allez voir The Imitation Game au cinéma. Ou procurez-vous un DVD quand ça sortira. Et dans le second cas, prêtez-le à des amis.
D'accord, ce n'est pas le film de l'année (du moins j'espère, il y a encore beaucoup de choses à venir). D'accord, ce n'est pas une biographie très fidèle d'Alan Turing (voir à ce sujet la notice Wikipedia du film, qui fait état des controverses). D'accord, pour cela, il vaudrait sans doute mieux lire le livre dont le film est une adaptation. D'accord, ce blog est censé être consacré aux livres d'ailleurs.
Mais j'ai constaté dans mon proche entourage que Turing n'est pas très connu. Ce film est une occasion de populariser un important acteur de l'histoire des sciences. Mais Benedict Cumberbatch est l'acteur en activité qui a sans doute incarné le plus de personnages historiques dans des biographies (plus ou moins romancées). Mais le pardon accordé par la reine d'Angleterre à Turing n'empêche pas qu'il a été condamné en 1951 pour homosexualité. Mais, comme le rappelle le film, plusieurs dizaines de milliers d'homosexuels ont été condamnés au Royaume-Uni pour le seul fait d'être ce qu'ils étaient, et n'ont toujours pas été "pardonnés" (il me semble qu'en France on dirait réhabilités). Une pétition a d'ailleurs été lancée dans ce but à l'occasion de la sortie du film.
Je laisse les critiques cinématographiques aux spécialistes. Malgré quelques doutes initiaux (après notamment la lecture de critiques par des scientifiques), j'ai été pris par cette histoire. On suit Turing essentiellement pendant la Deuxième Guerre mondiale, tandis qu'il participait au décryptage des codes de transmissions allemands. Il y met au point l'un des tout premiers ordinateurs. Des flashbacks nous renvoient à sa pré-adolescence dans un collège anglais, et à la mort de son premier amour. D'autres séquences nous racontent la fin de sa vie : son arrestation après un cambriolage par l'un de ses amants, sa condamnation. Ces deux séries d'excursions temporelles permettent de situer pourquoi Turing est un personnage si dramatique : il était homosexuel dans un pays qui pénalisait l'homosexualité ; il était un héros de guerre sur un projet top secret, et n'a jamais été reconnu publiquement en tant que tel.
Certes, le réalisateur a ajouté une intrigue d'espionnage, en rajoute sur la clairvoyance de Turing quant à l'utilisation des messages allemands qu'il a décryptés, glisse un couplet féministe en insistant sur le rôle de Joan Clarke. Mais que Turing soit devenu un personnage de fiction, que des auteurs s'approprient et transforment à leur gré : n'est-ce pas le meilleure hommage que l'on puisse lui rendre? J'avais déjà critiqué un roman à son sujet fin 2013.
Et si vous n'êtes encore pas convaincus, voici la bande annonce.
lundi 23 février 2015
samedi 21 février 2015
Errements à l'Académie des sciences
En juillet 1867, le très honorable
mathématicien Michel Chasles, membre de l'Académie des sciences,
communiqua à celle-ci des informations extraordinaires. Il avait en
sa possession des lettres autographes de Blaise Pascal et d'Isaac
Newton prouvant qu'ils avaient échangé une correspondance. Et que
c'est le premier qui avait établi la loi de l'attraction des corps
dont le second avait revendiqué la paternité.
Le fait que cette correspondance ait
commencé alors que le jeune Newton n'était âgé que de 11 ans
n'alerta pas les savants. Il faut dire que des lettres d'autres
personnages illustres de l'époque corroboraient les faits : La
Bruyère, Robert Boyle, Montesquieu, Leibniz, etc.
Le scandale s'amplifia quand d'autre
lettre révélèrent que Pascal tenait lui-même ses connaissances de
lettres échangées plusieurs décennies plus tôt avec Galilée
lui-même! Et que ce dernier avait été victime de l'indélicatesse
de l'astronome Christian Huygens à propos de la découverte de
satellites de Saturne.
Indignés, des scientifiques
britanniques crièrent à la mystification. Mais Chasles tint bon,
produisant toujours plus de lettres (il affirma en posséder 2 000 de
la main de Galilée). L'affaire dura deux ans.
Le fait que tout ce beau monde écrivit
en français perturbait tout de même quelques académiciens.
Certains convainquirent Chasles de faire photographier des lettres de
Galilée et de les envoyer en Italie pour comparaison. D'autres
érudits montrèrent que plusieurs lettres plagiaient des livres
postérieurs à leur date supposée.
Mais le mathématicien ne reconnu son
"erreur" qu'après l'arrestation, sur sa plainte, d'un
individu nommé Vrain Lucas. Ce dernier avait en effet omis de lui
livrer les 3 000 autographes qu'il lui avait promis en échange d'une
somme d'argent déjà encaissée. Lucas était l'auteur de toutes ces
lettres, que l'on reconnaît aujourd'hui comme des faux grossiers.
J'avais déjà entendu raconter
l'aveuglement de Chasles. J'ignorais qu'il avait aussi gagné quelque
temps d'autres éminents savants. C'est l'un des mérites du livre de
Gérard Coulon "Signé Vrain Lucas" (Errance, 2015, 192 p.,
23€) de nous rapporter l'histoire en détails. Son enquête, qui ne contient que des faits déjà connus, ne s'arrête toutefois pas là. Il a reconstitué la vie du
faussaire, et tenté de cerner ses motivations.
Comment cet autodidacte originaire
d'une famille plus que modeste de Chateaudun, en Eure-et-Loir, en
est-il venu à duper l'un des savants français les plus respectés?
A écrire (et à vendre) des lettres signées par Vercingétorix,
Thalès, Socrate, Cléopâtre et même Jésus? Plus c'est gros, plus
ça passe, pourrait être une morale de ce récit. Reste que l'on
s'interroge sur la psychologie de Chasles, et sur celle de ses
confrères académiciens, qui n'hésitèrent pas à continuer de lui
confier des responsabilités au sein de l'institution, malgré le
ridicule dont il s'était couvert.
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