samedi 21 février 2015

Errements à l'Académie des sciences

En juillet 1867, le très honorable mathématicien Michel Chasles, membre de l'Académie des sciences, communiqua à celle-ci des informations extraordinaires. Il avait en sa possession des lettres autographes de Blaise Pascal et d'Isaac Newton prouvant qu'ils avaient échangé une correspondance. Et que c'est le premier qui avait établi la loi de l'attraction des corps dont le second avait revendiqué la paternité.

Le fait que cette correspondance ait commencé alors que le jeune Newton n'était âgé que de 11 ans n'alerta pas les savants. Il faut dire que des lettres d'autres personnages illustres de l'époque corroboraient les faits : La Bruyère, Robert Boyle, Montesquieu, Leibniz, etc.
Le scandale s'amplifia quand d'autre lettre révélèrent que Pascal tenait lui-même ses connaissances de lettres échangées plusieurs décennies plus tôt avec Galilée lui-même! Et que ce dernier avait été victime de l'indélicatesse de l'astronome Christian Huygens à propos de la découverte de satellites de Saturne.

Indignés, des scientifiques britanniques crièrent à la mystification. Mais Chasles tint bon, produisant toujours plus de lettres (il affirma en posséder 2 000 de la main de Galilée). L'affaire dura deux ans.

Le fait que tout ce beau monde écrivit en français perturbait tout de même quelques académiciens. Certains convainquirent Chasles de faire photographier des lettres de Galilée et de les envoyer en Italie pour comparaison. D'autres érudits montrèrent que plusieurs lettres plagiaient des livres postérieurs à leur date supposée.

Mais le mathématicien ne reconnu son "erreur" qu'après l'arrestation, sur sa plainte, d'un individu nommé Vrain Lucas. Ce dernier avait en effet omis de lui livrer les 3 000 autographes qu'il lui avait promis en échange d'une somme d'argent déjà encaissée. Lucas était l'auteur de toutes ces lettres, que l'on reconnaît aujourd'hui comme des faux grossiers.
J'avais déjà entendu raconter l'aveuglement de Chasles. J'ignorais qu'il avait aussi gagné quelque temps d'autres éminents savants. C'est l'un des mérites du livre de Gérard Coulon "Signé Vrain Lucas" (Errance, 2015, 192 p., 23€) de nous rapporter l'histoire en détails. Son enquête, qui ne contient que des faits déjà connus, ne s'arrête toutefois pas là. Il a reconstitué la vie du faussaire, et tenté de cerner ses motivations.

Comment cet autodidacte originaire d'une famille plus que modeste de Chateaudun, en Eure-et-Loir, en est-il venu à duper l'un des savants français les plus respectés? A écrire (et à vendre) des lettres signées par Vercingétorix, Thalès, Socrate, Cléopâtre et même Jésus? Plus c'est gros, plus ça passe, pourrait être une morale de ce récit. Reste que l'on s'interroge sur la psychologie de Chasles, et sur celle de ses confrères académiciens, qui n'hésitèrent pas à continuer de lui confier des responsabilités au sein de l'institution, malgré le ridicule dont il s'était couvert.



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