jeudi 23 juillet 2015

La valeur de l'effort


Vous êtes-vous déjà laissés embarquer, par des amis bien intentionnés, dans une marche en montagne, ou dans une ballade à vélo dans une région un peu accidentée, alors que vous étiez peu entraînés? Alors vous connaissez sans doute les sentiments que procure la lecture de Amour et maths d'Edward Frenkel, publié il y a quelques mois par les éditions Flammarion. On vous a promis que le paysage serait splendide, vous éprouvez de nombreuses difficultés sur le parcours, au point d'être parfois tentés d'abandonner, mais vous êtes finalement bien contents d'être allé au bout. Et si vous ne savez plus raconter précisément ce que vous avez vu, vous affirmez sans hésiter que cette expérience en valait la peine. Au point que vous en parlez encore des années après.

Edward Frenkel est mathématicien. Il enseigne aujourd'hui à l'université de Berkeley, aux Etats-Unis. Mais il a été élevé à Kolomna, à une centaine de kilomètres de Moscou, en URSS. En URSS, puisque c'est ainsi que se nommait le pays qu'il a quitté en 1989, à seulement 21 ans.

En suivant son autobiographie scientifique, on passe des groupes de symétries à la théorie des groupes, puis au "programme de Langlands", qui vise à relier la "théorie des nombres", les "courbes sur les corps finis", les "surfaces de Riemann" et, même, la physique quantique. Je m'abstiendrai ici d'expliquer de quoi il s'agit. Edward Frenkel le fait largement dans les 365 pages de son ouvrage. Il propose aussi de nombreuses notes et références pour les lecteurs opiniâtres et vraiment désireux de comprendre ces mathématiques difficiles.

Car là n'est pas l'essentiel de ce livre. Ce que vise avant tout Edward Frenkel, c'est de nous communiquer "ce que c'est que de faire des mathématiques". Sa méthode : intriquer les résultats scientifiques qu'il expose avec les épisodes de sa vie auxquels ils sont associés. Pas de déballage personnel toutefois : il se limite strictement à ce qui concerne ses études et son travail universitaire (au point que, s'il n'évoquait sa famille et, furtivement, une petite amie, on se demanderait presque s'il a des relations et des sentiments en dehors des mathématiques).

D'Evgeny Evgenievich Petrov, professeur de mathématiques à Kolomna, qui lui fit comprendre que les mathématiques pouvaient être aussi passionnantes que la physique des particules, à Edward Witten, avec lequel il travailla justement à rapprocher la physique fondamentale du programme de Langlands, on le suit ainsi dans une succession de rencontres. Peut être, finalement, est-ce la façon d'Edward Frenkel d'entrer en relation : parler et faire des mathématiques avec d'autres personnes? L'épilogue du livre, où il narre en détails pourquoi et comment il a produit un court-métrage intitulé "Rites d'amour et de maths" semble le confirmer. Non autobiographique, certifie-t-il, cette histoire d'un mathématicien qui tatoue sur la peau de sa maîtresse une "formule de l'amour" (une "belle" formule, en fait), a pour but de faire ressentir aux spectateurs les liens qu'il éprouve entre les mathématiques et la vie de façon générale.

Pour ce qui me concerne, j'en reste admiratif. Comme je peux admirer les exploits d'alpinistes, de navigateurs solitaires ou de plongeurs apnéistes. Et cela m'incite à aller au bout de mes propres passions, même s'il s'agit seulement de marche en montagne ou de promenade à vélo. Ce n'est déjà pas si mal.






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