Un mois presque depuis le dernier post
sur ce blog. C'est long. Mais long, Sapiens, une brève histoire de l'humanité de Yuval Noah Harari, que les éditions Albin Michel viennent de traduire en
français, l'est aussi : 492 pages.
Et assez ennuyeux.
Quel
intérêt des lecteurs, en Israël d'abord, puis aux
Etats-Unis et ailleurs (le livre a été traduit en une trentaine de langues, nous dit l'éditeur), ont-ils trouvé à ce livre? Quel intérêt les lecteurs
français y trouveront-ils? J'ai du mal à le dire.
Yuval Noah Harari manie bien la
rhétorique, c'est certain. Il est habile à faire des rapprochements
provocateurs. Mais il ne mène nulle part. Si vous êtes
vraiment curieux de ce qu'il a à dire, et que vous avez un gros
quart d'heure disponible, visionnez sur le Web la conférence Ted qu'il a donnée à Londres en juin 2015. Mais ne perdez pas plus
votre temps.
Sapiens
prétend, comme l'explicite son sous-titre, nous raconter l'histoire
de l'homme, et nous expliquer pourquoi notre espèce est parvenue à
dominer la planète. Le propos est ambitieux. On suppose qu'il se
fonde sur une documentation abondante et bien vérifiée. On a tort.
L'auteur commence,
en toute logique, par l'apparition de notre espèce et par les
quelques centaines de milliers d'années de la préhistoire.
Malheureusement, il n'a pas pris la
peine de comprendre précisément ce dont il parle. Ainsi dès la
page 15, peut-on lire : « Il y a six millions d'années, une
même femelle eut deux filles : l'une qui est l'ancêtre de tous les
chimpanzés ; l'autre qui est notre grand-mère ». On peut
passer sur la datation, qui est un peu plus récente que ce que les
biologistes et les paléontologues acceptent aujourd'hui. Mais sa
vision de la spéciation est confondante.
Deux
pages plus loin, il invente carrément une espèce : « L'analyse
génétique prouva que le doigt était celui d'une espèce humaine
encore inconnue, qu'on a baptisée du nom d'Homo
denisova. » Si quelqu'un a
la référence du certificat de baptême de cette espèce, je suis
preneur. Et pour continuer sur les « hommes de Denisova »
(comme les appellent plus prudemment les paléoanthropologues), il
invente encore, page 30, pour appuyer sa vision hégémonique d'Homo
sapiens : « Qu'il faille
ou non les en blâmer, les Sapiens n'étaient pas plutôt arrivés
quelque part que la population indigène s'éteignait [...] L'Homo
denisova disparut [...] Il y a
quelques 40 000 ans. ». Rappelons que cette population n'est
connue que par deux fragments osseux et une dent, provenant du même
site et pas très bien datés, aux alentours de 50 000 ans. On ne sait ni quand elle s'est formée, ni quand elle aurait "disparu". En outre,
elle a laissé une part non négligeable de ses gènes aux hommes
actuels.
Pour
Yuval Noah Harari, d'ailleurs, l'espèce Homo sapiens
n'apparaît réellement qu'il y a 70 000 ans. Avant, il ne s'agit pas
vraiment d'hommes comme nous. Chez ces « hommes archaïques »,
précise-t-il page 46, « Pour autant qu'on puisse le dire, les
changements de structures sociales, l'invention de nouvelles
techniques et le peuplement d'habitats étrangers résultèrent des
mutations génétiques et de pressions du milieu, plus que
d'initiatives culturelles ». Et encore page 48, « Bien
incapables de composer des fictions, les Neandertal étaient
incapables de coopérer effectivement en grands nombres ; ils ne
pouvaient adapter leur comportement social à des défis qui se
renouvelaient rapidement. » Là aussi, je serais curieux de
connaître les données objectives qui fondent de telles affirmation
(en revanche, je connaît quelques données objectives qui témoignent
plutôt du contraire).
Rassurez-vous, je
ne vais pas continuer sur le même mode. L'espace ne coûte rien sur
un blog, mais je sais que le temps de mes lecteurs est compté. Je
pourrais presque faire un post par jour pendant plusieurs mois à
partir de toutes les approximations et les erreurs que contient ce
livre.
C'est que la
démarche est biaisée : l'auteur a eu une idée pour expliquer
l'histoire humaine, et il a ensuite recherché les arguments pour
l'étayer. Outre qu'il n'en a pas réellement trouvé, ce qui l'oblige à tordre les faits en sa faveur, son idée
n'explique en fait pas grand chose. Le cœur de son propos est en
effet l'affirmation que toutes les sociétés, cultures et
institutions humaines sont des fictions créées par nous mêmes. Et
alors?
Habilement, il
raconte des histoires amusantes : il démontre que la société
Peugeot n'existe pas vraiment, que le droit est une religion, et le
capitalisme une croyance. Peut-être réussit-il ainsi à « choquer
le bourgeois ». Mais il fait surtout penser à l'abbé de
Villecourt, dans le film « Ridicule » de Patrice Leconte,
qui, après avoir démontré magistralement l'existence de Dieu
conclue « mais j'aurais tout aussi bien pu démontrer le
contraire! ». Heureusement pour Yuval Noah Harari, il ne risque
pas l'exil.
Le témoignage
peut-être le plus flagrant de son manque de pertinence apparaît
sans doute à la page 129 quand il écrit, à propos de ce qui est
censé être son domaine de spécialité : « L'histoire est une
chose que fort peu de gens ont faite pendant que tous les autres
labouraient les champs et portaient des seaux d'eau ». J'ajouterais, à le lire, que ce "fort peu de gens" qui auraient fait l'histoire selon lui sont surtout occidentaux, et mâles. C'est peut-être ce qui rassure ses lecteurs.
excellente critique !
RépondreSupprimerMerci. Je ne suis pas certain que l'éditeur sera de cet avis...
SupprimerPaf, dans les dents. Et c'est bien mérité.
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